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Organiser un Braintrust comme Pixar

Le Braintrust est un concept développé par Pixar, le célèbre studio d’animation. Il s’agit d’un groupe de personnes talentueuses et expérimentées qui se réunissent régulièrement pour discuter, critiquer et donner des conseils sur les projets en cours de développement au sein de l’entreprise.

L’objectif principal du Braintrust est d’aider les équipes créatives à améliorer leurs projets en fournissant des retours honnêtes, constructifs et bienveillants.

Le Braintrust s’organise sur le constat que toute personne engagée dans un projet créatif complexe court le risque de :

  • se perdre dans la complexité du sujet
  • se décourager dans la durée
  • se retrouver bloquer par un manque de prise de recul
  • être submergée par le nombre d’idées
  • oublier que ce projet n’est pas pour elle…mais pour des clients

Et ce, peu importe qu’elle soit talentueuse, passionnée, organisée ou visionnaire

C’est pour éviter ces écueils que les fondateurs de Pixar ont créés le “Braintrust”, un groupe de collègues de confiance (trust), souvent auto-organisé, qui se réunit régulièrement pour suivre les progrès des projets en cours.

Le «Braintrust» est une réunion d’intelligence collective centrale de l’activité de Pixar.

C’est-à-dire que le braintrust n’est pas une équipe de « consultants internes mais un passage obligé devant ses pairs pour obtenir un regard extérieur bienveillant sur son projet.

L’objectif affiché de ces « cerveaux de confiance » est, selon Ed Catmull le fondateur de Pixar, de transformer une idée nulle en idée géniale par plusieurs passages de chaque projet en cours devant le Braintrust. Les idées s’améliorent ainsi par itérations.

Ce groupe est composé de personnes passionnées, qui ont déjà présenté leur projet devant un Braintrust et qui partagent confiance et candeur. Si la confiance est un sujet traité en management depuis plusieurs années en France, le terme de candeur est plus rarement utilisé.

Avoir de la candeur signifie que vous savez parler à un interlocuteur avec sincérité et simplicité tout en respectant ses sentiments.

Le Braintrust est basé sur plusieurs principes clé :

  1. La confiance : les membres du Braintrust doivent avoir confiance les uns envers les autres et croire en leur expertise et en leur jugement. Cette confiance permet d’instaurer un climat de transparence et d’ouverture propice aux échanges sincères et constructifs.
  2. L’absence de hiérarchie : le Braintrust fonctionne sur un principe d’égalité entre les participants. Il n’y a pas de hiérarchie ou de rapport d’autorité, ce qui favorise la liberté d’expression et la remise en question des idées.
  3. La bienveillance : les membres du Braintrust doivent adopter une attitude bienveillante et respectueuse dans leurs échanges. Ils doivent être capables de critiquer les projets de manière constructive, sans pour autant dévaloriser ou humilier les personnes concernées.
  4. La responsabilité : les participants au Braintrust ne sont pas là pour imposer leurs idées ou prendre des décisions à la place des équipes créatives. Leur rôle est de fournir des conseils et des retours d’expérience, mais c’est aux équipes en charge des projets de décider des actions à mettre en œuvre.

Le Braintrust est ni révolutionnaire ni nouveau

Historiquement, un Braintrust désigne l’équipe de conseillers d’un homme politique. Bien avant Pixar, ce terme était ainsi associé pour la première fois aux conseillers de Franklin Roosevelt.

Des groupes créatifs existent depuis au moins le 18e siècle :

  • The Inklings qui lisaient et discutaient les travaux en cours des membres écrivains comme J.R.R. Tolkien ou C.S. Lewis.
  • The Junto ou ‘le club du tablier de cuir’, fondé en 1727 par Benjamin Franklin.
  • Disney’s Nine Old Men qui dans les années 1930 réunissait les premiers animateurs de Disney.
  • The Bloomsbury Group qui comprenait intellectuels, philosophes et artistes comme Virginia Woolf ou John Maynard Keynes.

Chaque membre du Brainstrust est chargé d’identifier et de résoudre les problèmes posés par leurs pairs pour les aider à prendre du recul en analysant leurs projets sans arrière-pensée. Ce qui motive les membres du Braintrust est de participer à la réussite du projet présenté.

Les Principes du Braintrust.

1 – Le Braintrust n’est pas hiérarchique mais pair à pair.


Il ne s’agit pas d’une revue de direction ! Toutes les décisions sont laissées aux responsables de projets.Les participants ne font que formuler ce qui selon eux ne fonctionne pas, ce qu’il manque et ce qu’il faudrait changer.Ils peuvent bien évidemment faire des suggestions, mais c’est au responsable du programme qui est analysé de décider ce qu’il prend ou ce qu’il laisse. Il est le chef de projet qui a suivi le projet depuis ses débuts, il est donc – avec son équipe – le mieux placé pour appliquer sa propre solution, inspirée ou non du Braintrust.

Pour la petite histoire, c’est la raison pour laquelle Ed Catmull a fait en sorte que Steve Jobs ne participe jamais aux Brainstruts.

2 – Aucun membre du braintrust n’est propriétaire des idées partagées.


Un projet doit être un effort commun, une aventure collective. De nouveau, c’est le chef de projet qui fera sa propre tambouille avec ce qu’il ou elle ressortira du Braintrust.Les participants apportent leur vision sans calcul. Ils posent leurs questions et font leurs remarques ni pour se mettre en avant, ni pour faire passer leurs idées, ni pour plaire au chef (cf. Principe n°1) mais pour faire avancer le projet en cours.

Il y a de fortes chances que la meilleure idée de la réunion soit indirectement inspirées au responsable de projet.
 Il peut arriver que le Brainstrust identifie que quelque chose ne tourne pas rond sans pouvoir en identifier la cause ou en se trompant de symptôme.
C’est donc une vraie aventure collective.

3 – Les membres du Braintrust sont des « briscards. »

Les participants viennent des tranchées. Ils ont donc personnellement vécu les affres que traversent les responsables de projets créatifs et sont à même d’apporter à la table :

 Leur expérience. C’est leur légitimité qui facilitera l’écoute de leurs idées par le chef de projet. Il sait ainsi qu’il a devant lui des gens qui ont été à sa place.
 Leur candeur. Comme ils ont été à la place du chef de projet, ils peuvent se mettre à sa place et être candides (sincérité et empathie) et bienveillants dans leurs échanges avec lui.

4 – Les chefs de projets doivent se différencier de leurs idées ou projets.


Vous n’êtes pas vos idées ou votre projet ! Ce n’est donc pas vous que le Braintrust « évalue ».

Si de leur côté les membres du Braintrust sont candides, francs, honnêtes et bienveillants… le chef de projet doit profiter de cette occasion pour prendre du recul sur son travail.Ceci rentre dans une réflexion bien plus large concernant la culture d’entreprise. Dès l’intégration d’un nouveau collaborateur, il faut absolument le faire adhérer à une culture du travail franche et directe (avec empathie) dans lequel l’erreur est acceptée et l’aider à travailler sur sa capacité d’écoute et d’acceptation des commentaires sur son projet sans le prendre personnellement. Plus facile à écrire qu’à faire, je suis d’accord.

5 – Candeur et empathie ne signifie pas complaisance.

Vous devez venir au Braintrust avec la conviction que toute idée est nulle à ses débuts et qu’elle le sera de moins en moins au fur et à mesure que vous la travaillez. Ce qui introduit la notion d’itération du Braintrust.

 Si vous avez compris qu’une idée est nulle à ses débuts et que vous n’êtes pas votre idée (principe 4), c’est par itération régulière que vous allez transformer une idée nulle en projet moyen et un projet moyen en résultat incroyable. Et pour cela, pas de secret : le regard extérieur de vos pairs peut vous aider à vous dépasser.

Dans son bestseller « Creativity, inc. » Ed Catmull se souvient d’un Brainstrust lors de la conception du film « Inside Out » qui mettait en présence son réalisateur, Pete Docter, et une vingtaine de personnes, dont Brad Bird (The incredibles).  

Catmull cite ce que Brad a dit à Pete : « Pete, je te félicite. C’est une idée incroyable d’essayer de faire un film sur les émotions. Comme je te l’ai déjà dit, tu essaies de faire un triple salto arrière par vent violent et tu t’en veux de ne pas avoir réussi la réception alors que tu devrais plutôt être content d’être toujours vivant. Ce que tu fais avec ce film est la même chose, tu cherches à accomplir ce que personne dans l’industrie n’a réussi à faire avec un budget sûrement plus important. Alors bravo, mais tu vas encore souffrir…»

Organiser un Braintrust

Il ne s’agit pas tant de suivre des étapes, mais de créer un environnement compatible avec la recherche collective d’excellence en phase avec votre culture d’entreprise et de la personnalité des participants au Braintrust.

Le concept de Braintrust a largement contribué au succès de Pixar en favorisant une culture d’entreprise fondée sur l’innovation, la créativité et la collaboration. Il peut servir d’inspiration pour d’autres organisations souhaitant instaurer un environnement de travail propice à l’échange d’idées et à l’amélioration continue.

Identifier les experts

Le point commun des participants des Braintrusts de pixar est leur talent pour le storytelling, il s’agit ainsi de rassembler des personnes qui ont expérimenté le sujet qui sera évalué.

Il ne s’agit donc pas d’un brainstorming dans lequel on cherche une maximum d’hétérogénéité des profils ! Il ne s’agit pas d’une phase d’idéation (dans laquelle tous les profils sont les bienvenus) mais une phase d’amélioration et de résolution de problème.

Dans un Braintrust, l’expérience et la légitimité sont donc primordiales pour que les participants puissent rapidement identifier ou le bât blesse/ce qui pourrait être amélioré /, etc. et que le chef de projet ne puisse pas penser que ce groupe est détaché de sa réalité.  

Par expérience, ce qui fonctionne le mieux à cette étape est de laisser le groupe s’auto-organiser. Le chef de projet devrait se débrouiller très bien tout seul pour rassembler l’équipe de ceux dont il aimerait avoir un retour.  

Le Braintrust doit rassembler des personnes talentueuses, expérimentées et capables d’apporter une réelle valeur ajoutée aux discussions. Assurez-vous d’inclure des profils variés, avec des compétences et des expertises complémentaires, pour favoriser la diversité des points de vue.

Promouvoir la candeur 

Si le chef de projet est à même d’identifier les experts qu’il souhaite dans son Braintrust, il doit aussi veiller à ce que les membres sélectionnés soient dans les bonnes dispositions d’esprit. Il ne faut pas seulement rassembler des gens intelligents ou expérimentés, mais des gens capables de candeur et de bienveillance envers le projet analysé.

Idéalement, les personnes sélectionnées devraient être des iconoclastes qui n’ont pas peur d’être ridicule et qui ne cherchent qu’à faire avancer le projet de leur collègue.

Le chef de projet doit avoir hâte de confronter son projet au Brainstrust et ne surtout pas y aller en traînant des pieds. C’est au groupe dans son ensemble de veiller à cet état d’esprit et recadrer (ou éliminer) le membre qui ne participe que pour régler ses comptes ou passer ses idées. 

Le Braintrust vise à stimuler la créativité et l’innovation en encourageant la remise en question des idées et des hypothèses. Il est donc essentiel de garder un esprit ouvert et de ne pas être attaché à ses propres convictions.

C’est ici que l’on comprend que notre culture d’entreprise a un effet sur notre état d’esprit malgré nous. Organiser un Braintrust dans une culture d’entreprise inadaptée et il y a de fortes chances que les membres du groupe :

  • Trouvent le projet génial sans oser le critiquer de façon constructive
  • Critiquent le projet pour le plaisir de le critiquer
  • Cherchent à s’en accaparer les résultats
  • Passent la réunion penchés sur leur téléphone.

Organiser la réunion de Braintrust

Une fois le Braintrust de 5 à 7 personnes créé, il reste à le planifier, à le structurer et à l’animer.

Déjà, je vous conseille de l’organiser de façon régulière (tous les 15 jours par exemple), de fixer la réunion à 1 heure (1h30 grand max) pour ne pas tomber dans le piège de la rencontre sociale. Il faut que ça bouge et que les propositions « fusent » !

Par expérience. Il y a de fortes chances que ce soit le bord.. bazar lors des premiers épisodes. Sauf si vous disposez d’un animateur chevronné ou d’un “Hacktivateur”.

Le Braintrust est une expérience d’intelligence collective, la dynamique de la salle est plus importante que l’agenda.

L’agenda du braintrust

Une fois que vous avez créé le group et posé les règles de votre Braintrust, vous devez structurer temporellement la réunion.

Il est très important d’avoir une organisation rigide et de se tenir au temps imparti pour rester en mouvement, maximiser le temps de rencontre et éviter les discussions individuelles sur des sujets qui ne sont pas liés à la demande du directeur de projet.

Pour un Braintrust d’une heure voici une proposition de timing :

Minute 0: tour de table et météo.

Il ne s’agit pas de faire un tour de table pour se connaître (à priori, les membres du groupe se connaissent déjà.) mais pour connaître l’état d’esprit des membres du groupe. Pour cela, je préconise l’exercice de « la météo intérieure ».

Si au départ, je n’étais pas très fan de cet exercice (un peu trop mysticogélatineux à mon goût), il s’avère très efficace dans le cadre du Braintrust pour indiquer aux autres que ses interventions seront peut-être teintées de son humeur. 

Minute 10 : on se lâche.

Tout le monde partage un déblocage qui a eu lieu la semaine précédente sur un projet, dans une activité et/ou une idée stupide qu’ils ont eue récemment concernant le business (ou pas).

L’objectif ici est de créer une approche iconoclaste»dans laquelle aucun membre du groupe n’aura peur de partager ses idées, même les plus bizarres.

Minute 20 : le projet et le retour du groupe

Le chef de projet présente son projet, les évolutions depuis le dernier Braintrust, les problèmes rencontrés, les obstacles dépassés et les problèmes ou questionnements en cours. Attention, dans un Braintrust,

il est très possible que le chef de projet n’ait pas de problème, ce sera donc au groupe de le questionner pour voir s’il n’y a pas malgré tout place à amélioration. Le responsable de projet pourra partager son travail en dessin, texte ou vidéo pour illustrer son travail.

Ceux qui peuvent aider interviennent. Ils conseillent avec leur expérience, proposent des idées, donnent des astuces, proposent des noms de personnes à rencontrer pour avancer.

Minute 50 : Conclusion

Le chef de projet doit partir avec la tête claire et pas embrouillée par toutes les idées échangées avec comme seul butin quelques notes gribouillées sur un carnet qu’il ne relira pas. 

J’utilise par exemple cette matrice que le chef de projet remplira lors des dernières minutes de la réunion pour pouvoir rapidement travailler sur les idées proposées. C’est ce que l’on appelel le « Headlining ».

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